lundi 21 février 2011

chapitre 5 de Crin - Blanc

La capture
À la fin de la campagne de pêche ,Folco revint au mas .Il était heureux de retrouver son jeune frère et le grand-père Eusebio, après une si longue absence .Et la vie recommença dans la petite cabane blanche , au bord du marais.
Quelques jours après le retour de Folco , Antonio passa au mas.Le garçon était déjà parti de bonne heure ,avec son petit bateau.
"Le petit sera contrarié de t'avoir manqué , dit le grand-père .
Dans le fond , vois-tu , Eusebio , c'est mieux comme ça...
Encore vos histoires de chevaux....,grommela le vieux pêcheur.Je croyais que ça lui passerait , à mon gars.Des chevaux , il en a toujours plein sa petite tête .Et son Crin-Blanc!...
Je sais , Eusebio.
Tu pars déjà ?
Oui , dit Antonio .Je vais rejoindre les autres gardians .Un vieux comme moi est encore capable de faire voir au manadier qu'il sait gagner sa paie , un jour comme aujourd'hui.Parce qu'aujourd'hui il pourrait y avoir du sport....."
Antonio avait un drôle d'air .Il n'encourageait pas à lui poser des questions.Et Eusebio ,assis devant sa porte ,se remit à ravauder ses filets ,en regardant Antonio s'éloigner au petit trot ,en direction des pâturages.
Folco , sur le marais ,était loin de se douter qu'à cette heure le manadier et ses gardians allaient essayer de capturer un jeune cheval...et que ce cheval , c'était Crin-Blanc!
Antonio rejoignit les gardians au moment oú ils commençaient à encercler la troupe des chevaux sauvages .Les gardians étaient de merveilleux cavaliers .Ils montaient des étalons qui "mangeaient le vent ".
Franqui , le cheval d'Antonio ,n'était plus très jeune comme son maître et il avait perdu de la fougue.Mais le vieux gardian manoeuvrait si finement sa monture ,et avec une telle adresse ,qu'il se trouvait toujours en pointe,dans cette extraordinaire course en crochets à travers la troupe des chevaux affolés ,qui se débandaient.
"À toi Antonio..., cria le manadier .Tous les autres au fossé.Poussez , mais poussez donc !...Qu'est-ce que vous avez dans les jambes?..."
Crin-Blanc allait s'échapper.Les gardians lancés au galop refoulaient le gros de la troupe et l'empêchaient de franchir le fossé.
Crin-Blanc , séparé de la manade , fit brutalement volte-face.Mais Antonio revenait par le travers ,et pour briser l'élan de Crin-Blanc ,il freina durement son cheval qui faillit être renversé .
Un saut de mouton...une ruade décochée en plein poitrail de Franqui...et Crin-Blanc détala ventre à terre.
Au loin,la troupe s'enfuyait.En face de lui ,barrant la voie ,les gardians revenaient.
"Saute , Antonio!..." hurla le manadier.
Comme si c'était utile de s'user la gorge pour crier un ordre à un vieux gardian qui savait son métier!
Antonio enleva son cheval
Le fossé était large.
Affolé par les cris des gardians qui chargeaient , retenu par Franqui que son cavalier maintenait fermement dans la ligne ,Crin-Blanc ,le flanc presque collé à la botte d'Antonio, passa le fossé d'un bond énorme.
Il s'enfonça dans la vase ,s'en arracha et reprit sa course.
Mais Crin-Blanc ne pouvait plus échapper à ses poursuivants.
Antonio arrêta son cheval pour le laisser souffler.Maintenant , c'était l'affaire des jeunes gardians.Ils encadraient de chaque côté l'étalon qui ne pouvait plus les distancer.Et c'étaient les cavaliers du manadier qui conduisaient désormais cette course effrénée .
Comme avait dit Antonio ,Crin-Blanc avait un coffre de fer.Les chevaux des gardians s'essoufflaient à le suivre.L'étalon menait le train ,sa magnifique crinière déployée dans le vent ,la queue empanachée comme une flamme blanche.
D u poitrail,il ouvrait les buissons.Il franchissait les fondrières , se lançait à travers les mares fleuries de bouquets blancs oú la mince couche d'eau ne couvrait même pas la pointe de ses sabots.
Mais les gardians ne lâchaient pas le contact.Les chevaux qu'ils montaient savaient oú ils allaient.La maison et les écuries du manadier n'étaient plus très loin.Elles se cachaient derrière les arbres,après le tournant de la longue clairière pelée oú les sabots sonnaient sur la terre dure.
Encore un effort pour le dernier temps de galop...
"Hola!...les barrières!...cria le manadier.
Elles étaient déjà ouvertes.
La piste conduisait à un cul-de-sac oú ,sur un vaste terrain nu , une enceinte de piquets et de perches enfermait l'enclos de dressage.
Crin-Blanc était pris.
Il essaya de se jeter comme un furieux contre la barrière qui tenait bon.Il roula à terre,meurtri.Il se releva aussitôt , se lança dans un tour de piste ,au ras des perches ,cherchant une issue pour s'échapper.
Les gardians descendus de cheval guettaient son passage ,abrités derrière les barrières .L'un d'eux réussit à lancer une corde autour du cou de Crin-Blanc .Puis il sauta dans l'enclos.Escaladant la barrière ,les autres gardians coururent prêter main-forte à leur camarade.
L'homme avait beau être leste ,il allait se trouver rapidement en mauvaise posture .Jamais , de mémoire de manadier , on n'avait capturé un cheval qui ait eu autant de défense.
À demi étouffé par le noeud coulant qu'on lui avait passé autour de l'encolure , Crin-Blanc luttait désespérément .
Une fois de plus , les hommes le torturaient.Le souffle coupé , presque au bout de ses forces ,le fier étalon se ramassa ,bondit...
"Au large !Au large!...cria Antonio qui arrivait avec le manadier.
Le gardian ,qui n'avait pas lâché la corde , roula dans la poussière.
"Tu veux te faire tuer !..." cria Antonio.
Complètement affolé , Crin-Blanc aurait été capable de déchirer ces hommes à coups de dents ou de les assommer sous ses sabots.
Heureusement ,il réussit à briser sa cordr!
"Tu es fou ,Antonio!" hurla le manadier.
Antonio en s'agrippant à la barrière ,à cause de sa mauvaise jambe ,avait mis pied à terre.Il ouvrit la porte de l'enclos.
"Tu es fou !...
Vous auriez mieux aimé que le cheval se rompe le cou , peut-être....dit le vieux gardian.L'animal ne se connaît plus .C'est bien par chance qu'il n'est pas arrivé malheur..."
En trombe,Crin-Blanc , qui avait aperçu cette issue ,se jeta hors de l'enclos.Il passa à deux pas du manadier et reprit la piste de la clairière.Il disparut dans un nuage de poussière , au tournant , derrière les arbres.
"Jolie journée!...gronda le manadier.
Elle aurait pu finir plus mal,grommela Antonio entre ses dents.
Qu'est-ce que tu marmonnes,vieux ?...
Rien ,patron , rien.
Alors , ne radote pas " dit le manadier.
Et à ses gardians:
"Vos chevaux à l'écurie.Demain on leur en demandera autant qu'aujourd'hui et plus.Cette fois ,Antonio , on l'aura ,le grand blanc.On en a maté de plus difficiles.Quand je l'aurai , un mors dans les dents,et avec une bonne paire d'éperons.....À moins que tu veuilles le monter le premier,Antonio!..."
Et les gardians de rire.
Le soir , dans la paille , aux écuries oú ils allaient dormir tous deux , Antonio et le jeune gardian que Crin-Blanc avait failli mettre à mal:
"C'est facile de rire d'un vieux...,dit Antonio.
Je ne me suis pas moqué ,moi,Antonio...
Parce que toi , tu as eu peur?Ne t'en défends pas .Dans mon jeune temps , moiaussi ,j'ai eu affaire à un cheval aussi fier que ce blanc-là.Indomptable....On n'a jamais pu le prendre .Le patron est le maître .Mais moi , à sa place ,je n' irais pas au-devant de la mauvaise chance .
Le patron est un violent ,tu sais , Antonio.
Je sais , dit Antonio , je sais ."



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