lundi 21 février 2011

21-02-2011:chapitre 4 de Crin-Blanc

Le prince blanc

"Un seigneur....",avait dit Antonio.Le vieux gardian avait vécu toute sa vie avec les chevaux de Camargue.Il savait reconnaître ,dans leurs jeux ,quand ils s'affrontent à la course ou quand ils luttent , celui qui a le sang fier , celui qui est de la race des chefs.
Crin-Blanc tenait toutes ses promesses.Il était plus élancé que les utres poulains.Son poitrail était large, bien ouvert.Ses jambes nerveuses n'étaient qu'un paquet de muscles .
"Un cheval de fer....", disait orgueilleusement Antonio.
Un cheval redoutable , surtout , au sang brûlant , et d'une violence terrible .Les hommes l'avaient arraché à sa mère à l'âge oú l'on a peur de tout ce qui bouge sur le marais , et même de son ombre.Il n'était qu'un tout jeune poulain quand ce grand malheur lui était arrivé.
Cela , il ne pouvait pas l'oublier .Les hommes étaient ses ennemis.Comme les bêtes vraiment sauvages ,les sangliers , les renards , Crin-Blanc savait reconnaître de très loin l'odeur des hommes .
Dès que la silhouette d'un gardian apparaissait dans la plaine , Crin-Blanc ,qui menait le jeu de la troupe des jeunes chevaux ,lançait un hennissement et donnait le signal de la fuite.Antonio lui-même n'avait jamais réussi à l'approcher .
Mais Crin-Blanc reconnaissait Folco.
Plusieurs fois , poussant son bateau jusqu'au fond du marais , le garçon réussit à accoster aux grandes terres que parcourent les manades.
Au soir tombant ,les chevaux descendent au fleuve pour boire .
Dans la troupe ,le garçon distinguait tout de suite son ami .Il appelait Crin-Blanc...Le jeune cheval répondait par un hennissement un peu rauque ,mais qu'il aurait voulu très doux .Il s'approchait ,humant l'air ,les naseaux dilatés, attiré mais craintif.
Il se souvenait sûrement de leur première rencontre au bord de l'eau , quand ils étaient tous deux de la même taille ,le jeune poulain et le garçon.
Maintenant , le cheval avait grandi .Il regardait de haut ce petit bout d'homme qui l'empêchait de s'enfuir , rien qu'en lui parlant doucement .
Mais malgré la caresse de cette voix amie ,Crin-Blanc ,arrêté à quelques pas de Folco , au bord du marais qui marquait la frontière du royaume des chevaux , semblait lui dire :""Toi , tu es de chez les hommes.Nous ne sommes pas du même clan "".
Les saisons passèrent .
Pour obéir au grand-père Eusebio ,Folco se loua pour les mois d'une saison de pêche sur le Rhône .
Jusqu'à la nuit , on jetait les filets qui vous déchirent les mains.
Le soir , on accostait à la rive bourbeuse d'une petite île pareille à toutes les autres,avec ses bouquets de tamaris et ses touffes de salicornes .Une petite île qui semblait voguer ,emportée lentement à la dérive , vers la mer .
Les pêcheurs allumaient leur feu de camp pour cuire la soupe de poisson.Puis , roulé dans une couverture , sur un lit d'herbes , on dormait à la belle étoile .
Malgré la fatigue d'une grande journée de pêche , Folco restait longtemps sans trouver le sommeil .Il rêvait de Crin-Blanc .Loin du mas , du marais ,des manades ,il ne cessait de penser à son ami , le prince blanc .
Un soir , en abordant un de ces îlots mouvants avec l 'équipe du petit cotre,Folco aperçut dans la boue la marque fraîche de sabots .Il en parla au patron de la barque .Après la soupe , les hommes ,autour du feu , fumaient une dernière pipe .
"Je ne connais pas grand-chose aux chevaux , moi,dit le patron , mais il y en a , paraît-il , qui ont leurs lunes .
Leurs lunes ?....
Eh oui , petit...Ils ont de drôles de caprices .Ils se battent comme des enragés .Ils sont si terribles que les autres les chassent de la troupe .Et puis , il y a les solitaires ....Ceux-là ce sont les fiers.Il leur faudrait toute la terre à eux seuls , pour galoper !Un jour , ils font une fugue .Ils quittent la troupe.
Vous en avez vu , vous , patron?
Oui.Je me souviens d'un grand vieux cheval.....Il venait aux îles , comme ça ....Il se jetait à la nage dans un bras de fleuve .Cette île -là , ce devait être son royaume à lui....et puis , il revenait à la manade.""
Folco pensait à son ami Crin-Blanc , fier , ombrageux , indomptable ,Crin-Blanc qui fuyait les hommes et qui était bien capable de vouloir imposer durement sa loi aux autres chevaux .
Et en s'endormant sur la grève , le petit pêcheur aimait à se représenter l'image du prince blanc nageant dans le courant , jusqu'à l'île déserte au milieu du Rhône, qu'il était seul à fouler de ses sabots .

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