samedi 28 mai 2011

Lecture du 30 mai 2011-Crin - Blanc chapitre 4

Le prince blanc
"Un seigneur...." , avait dit Antonio .Le vieux gardian avait vécu toute sa vie avec les chevaux de Camargue.Il savait reconnaître , dans leurs jeux , quand ils s'affrontent à la course ou quand ils luttent , celui qui a le sang fier , celui qui est de la race des chefs .
Crin - Blanc tenait toutes ses promesses.Il était plus élancé que les autres poulains .Son poitrail était large , bien ouvert .Ses jambes nerveuses n'étaient qu ' un paquet de muscles .
"Un cheval de fer..." , disait orgueilleusement Antonio .
Un cheval redoutable , surtout , au sang brûlant, et d'une violence terrible.Les hommes l'avaient arraché à sa mère à l'âge oú l'on a peur de tout ce qui bouge sur le marais , et même de son ombre .Il n'était qu' un tout jeune poulain quand ce grand malheur lui était arrivé.
Cela , il ne pouvait pas l'oublier .Les hommes étaient ses ennemis.Comme les bêtes vraiment sauvages ,les sangliers ,les renards ,Crin-Blanc savait reconnaître de très loin l'odeur des hommes .
Dès que la silhouette d'un gardian apparaissait dans la plaine , Crin - Blanc , qui menait le jeu de la troupe des jeunes chevaux , lançait un hennissement et donnait le signal de la fuite.Antonio lui-'même n'avait jamais réussi à l ' approcher .
Mais Crin-Blanc reconnaissait Folco .
Plusieurs fois , poussant son bateau jusqu'au fond du marais , le garçon réussit à accoster aux grandes terres que parcourent les manades .
Au soir tombant , les chevaux descendent au fleuve pour boire .
Dans la troupe , le garçon distinguait tout de suite son ami .Il appelait Crin -Blanc...Le jeune cheval répondait par un hennissement un peu rauque , mais qu'il aurait voulu très doux .Il s'approchait , humant l'air , les naseaux dilatés , attiré mais craintif.
Il se souvenait sûrement de leur première rencontre au bord de l'eau , quand ils étaient tous deux de la même taille , le jeune poulain et le garçon .
Maintenant le cheval avait grandi .Il regardait de haut ce petit bout d'homme qui l'empêchait de s'enfuir , rien qu'en lui parlant doucement .
Mais malgré la caresse de cette voix amie ,Crin -Blanc , arrêté à quelques pas de Folco , au bord du marais qui marquait la frontière du royaume des chevaux , semblait lui dire :"Toi , tu es de chez les hommes .Nous ne sommes pas du même clan ."
Les saisons passèrent.
Pour obéir au grand-père Eusebio , Folco se loua pour les mois d'une saison de pêche sur le Rhône .
Jusqu'à la nuit , on jetait les filets qui vous déchirent les mains .
Le soir , on accostait à la rive bourbeuse d' une petite île pareille à toutes les autres , avec ses bouquets de tamaris et ses touffes de salicornes.Une petite île qui semblait voguer , emportée lentement à la dérive , vers la mer .
Les pêcheurs allumaient leur feu de camp pour cuire la soupe de poisson.Puis , roulé dans une couverture , sur un lit d'herbes , on dormait à la belle étoile .
Malgré la fatigue d'une grande journée de pêche Folco restait longtemps sans trouver le sommeil.Il rêvait de Crin - Blanc .Loin du mas , du marais , des manades , il ne cessait de penser à son ami , le prince blanc .
Un soir , en abordant un de ces îlots mouvants avec l'équipe du petit cotre , Folco aperçut dans la boue la marque fraîche de sabots.Il en parla au patron de la barque .Après la soupe , les hommes , autour du feu , fumaient une dernière pipe .
"Je ne connais pas grand-chose aux chevaux , moi , dit le patron , mais il y en a , paraît-il , qui ont leurs lunes .
_Leurs lunes ?....
_Eh oui , petit...Ils ont de drôles de caprices .Ils se battent comme des enragés.Ils sont si terribles que les autres les chassent de la troupe .Et puis , il y a les solitaires...Ceux-là ce sont les fiers.Il leur faudrait toute la terre à eux tout seuls , pour galoper ! Un jour , ils font une fugue .Ils quittent la troupe .
_ Vous en avez vu , vous , patron ?
_ Oui .Je me souviens d'un grand vieux cheval ...Il venait aux îles , comme ça...Il se jetait à la nage dans un bras du fleuve .Cette île-là , ce devait être son royaume à lui....et puis , il revenait à la manade ."
Folco pensait à son ami Crin -Blanc , fier , ombrageux ,indomptable .Crin - Blanc qui fuyait les hommes et qui était bien capable de vouloir imposer durement sa loi aux autres chevaux .
Et en s'endormant sur la grève , le petit pêcheur aimait à se représenter l'image du prince blanc nageant dans le courant , jusqu'à l'île déserte au milieu du Rhône ,qu'il était seul à fouler de ses sabots .

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